mercredi 13 mai 2009

VLADIMIR NABOKOV, LOLITA.

« Quand je me retourne vers le passé, les mois et les années de ma jeunesse semblent filer au vent du souvenir, errant en une nuée de lambeaux identiques et pâles, telles ces tempêtes matinales de papiers chiffonnés que le voyageur voit tourbillonner dans le sillage du train. »

« Je parcourus un trottoir ombré de bleu en épiant l’autre, qui était métamorphosé féériquement par la lumière du matin – un de ces jeunes matins d’été, tendre et presque fiable, avec çà et là des reflets de verre, et qui semblait flageoler, comme près de défaillir devant la perspective imminente de la chaleur intolérable de midi. »

« ... je la regardais et la regardais encore, et je savais, aussi clairement que je sais que je dois mourir, que je l’aimais plus que tout ce que j’avais vu ou imaginé en ce monde, ou espéré dans l’autre. Elle n’était plus que l’infime odeur de violette – un écho bruissant sous les feuilles mortes – de la nymphette d’antan, sur qui je m’étais roulé en rugissant ma joie ; un écho au bord d’un abîme mordoré, avec une forêt lointaine sous le ciel blanc, et un ruisseau étouffé par des feuilles brunies, et un dernier grillon dans les hautes herbes sèches... Grâce à Dieu, ce n’était point seulement cet écho que j’adorais. Ce que je choyais naguère, parmi les sarments tortueux de mon cœur – mon grand péché radieux – s’était réduit à son essence : le reste, la lubricité égoïste et stérile, tout cela était aboli, maudit. Vous pouvez me couvrir d’injures, menacer de faire évacuer la salle – tant que je ne serai pas étranglé par vos bâillons, je crierai ma pauvre vérité. L’univers saura combien j’aimais Lolita, cette Lolita, blême et polluée, et grosse de l’enfant d’un autre, mais toujours la même – avec les mêmes yeux gris, les mêmes cils fuligineux, les mêmes harmonies châtain et amande amère – oui, la même Carmencita, mienne, mienne à jamais ! »

« Je couvris mon visage des deux mains et fondis en larmes – les larmes les plus brûlantes que j’aie jamais versées. Je les sentais ruisseler entre mes doigts et le long de mon menton, et me suffoquer – mes narines étaient obstruées, je ne pouvais me maîtriser, et soudain, elle me frôla le poignet.
″Je vais mourir si tu me touches″, dis-je. »

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